Il existe un gisement d’au moins 30 Mds € de travaux financièrement rentables


Dépenses énergétiques du secteur public dans ses bâtiments :

Face aux contraintes des finances publiques, une motivation importante pouvant inciter l’Etat et les élus à réaliser des travaux sur les bâtiments publics tient aux économies associées à de tels investissements. Pour les communes par exemple, les dépenses énergétiques ont représenté environ 4,5% des dépenses réelles de fonctionnement en 2012[1], et leur part dans les dépenses tend à augmenter fortement. En valeur absolue, les dépenses énergétiques des seules communes sont passées de moins de 2 Mds € en 2002 à environ 3 Mds € en 2012. Le sujet des dépenses énergétiques communales a fortement gagné en visibilité au cours des dernières années du fait de la hausse des prix de l’énergie, et comme en témoignent des enquêtes de l’ADEME publiées en 2007 et 2012[2]. Les dépenses énergétiques des communes sont principalement liées aux bâtiments (pour 75%) ainsi qu’à l’éclairage public (20%).

En 2012, les dépenses liées aux consommations énergétiques du parc immobilier occupé par l’État ont quant à elles représenté entre 600 et 750 millions d’euros[3], en grande partie dans le Ministère de la Défense.

Opérations financièrement viables :

Des travaux de l’AIE[4], McKinsey[5] ou la Commission européenne[6] ont révélé l’existence d’un potentiel très élevé d’économies d’énergie financièrement viables mais actuellement inexploitées dans le secteur des bâtiments. Ceci vaut notamment pour les bâtiments publics en France.

Afin d’identifier les gisements de rénovation de manière fine, A.F.T.E.R. s’est appuyée sur un outil de modélisation de la rentabilité financière des rénovations énergétiques des bâtiments publics. Les hypothèses suivantes ont été modélisées dans le scénario de référence :

  • 3 bouquets de travaux (gains ci-dessous en énergie finale et sur les usages thermiques) :

6. bouquets

  • Doublement des prix de l’énergie en 20 ans (+3,5%/an), suivi d’une augmentation de 1%/an les années suivantes.
  • TRI minimum d’un projet de 3% : nous avons choisi de ne pas abaisser encore plus le TRI, alors même que les taux d’intérêt ont fortement baissé depuis 1 an.
  • Pas d’évolution du coût des bouquets (gain de productivité) ; pas de subvention ; pas de surcoûts (part de travaux non énergétiques égale à 0% : amiante, sécurité, etc.).
  • Prise en compte de l’augmentation de la taille du gisement viable financièrement sur la période analysée de 10 ans.

Ces hypothèses, plutôt conservatrices, conduisent à estimer le gisement viable financièrement à environ 30 Mds € sur 10 ans et 150 millions de m² (soit près de la moitié des surfaces). La grande majorité des surfaces sont rénovées en bouquet 2, et ceux-ci représentent environ 80% des investissements totaux. Le scénario de référence conduit à des gains énergétiques et CO2 de l’ordre de 20%.

7. résultats

Sources : Carbone 4, A.F.T.E.R.

6 scénarios alternatifs ont été modélisés, avec les hypothèses suivantes :

  • faible inflation énergétique : +1%/an sur toutes les énergies ;
  • choc inflation fossile : doublement des prix à horizon 2020 pour les énergies fossiles (+10%/an) et +1%/an ensuite ; +1%/an pour l’électricité ;
  • gain de productivité sur les travaux : amélioration des rendements pour un coût de bouquet donné ;
  • surcoût travaux : surcoût de 33% (dérive sur les coûts du fait d’une part non énergétique importante  dans les travaux (voir plus loin) ;
  • taux bas : TRI minimum de 0,25% ;
  • taux haut : TRI minimum de 4%.

Les résultats de ces scénarios sont détaillés ci-dessous par rapport au scénario de référence.

Synthèse de l’impact des différents scénarios de sensibilité testés sur 2015-2025

8. impacts scénarios

Sources : Carbone 4, A.F.T.E.R.

On constate que :

  • le scénario « taux bas » est naturellement celui dans lequel tous les indicateurs sont les plus favorables ;
  • le scénario « faible inflation énergétique » est celui qui freine le plus le programme ;
  • selon l’objectif visé, certains scénarios peuvent présenter des intérêts spécifiques (par exemple, le scénario « choc inflation fossile » permet un niveau élevé de réduction des émissions de CO2 et de remplacement du fioul).

Le caractère incitatif d’une opération de rénovation énergétique s’améliore grâce à plusieurs variables clefs modélisées dans nos travaux, telles que la croissance des prix de l’énergie qui peut devenir très significative[8] ; la durée d’amortissement (qui peut être de 30 ans et plus[9]) ; les certificats d’économie d’énergie ; d’éventuelles subventions européennes (FEDER, ELENA…) ; et la quote-part de travaux non énergétiques (normes, etc.).

La mise en place de différés – sur la durée des travaux – et d’annuités progressives accompagnant la croissance des prix de l’énergie et du carbone ont aussi été simulés par A.F.T.E.R.

Part des travaux non énergétiques dans un chantier de rénovation :

Bien qu’en partie compensées par des gains de productivité, les nouvelles normes de toutes natures (amiante, sécurité, accessibilité, normes phoniques, bâtiments historiques…) ont fortement pesé sur la hausse des coûts de construction depuis 10 ou 15 ans. Selon la FFB[10] (en 2013) : « une addition à plat de l’ensemble des facteurs réglementaires identifiés conduit à un total de 80 à 90 % de progression des coûts depuis 2000 […]. » De nombreuses normes ont un caractère d’obligation pour des travaux de rénovation, alors même qu’une telle obligation n’existe pas en matière de performance énergétique et climatique (voir II.D).

Intérêt d’embarquer des travaux énergétiques dans les rénovations :

De fortes ambitions en travaux non énergétiques pourraient limiter la possibilité de changer radicalement d’échelle dans les volumes d’opérations, du fait des contraintes budgétaires actuelles. Une part non énergétique de travaux peut cependant s’avérer souhaitable au-delà des besoins les plus évidents. Il serait en particulier intéressant « d’embarquer »[11] de manière plus systématique la performance énergétique dans les rénovations non énergétiques déjà conduites actuellement.

Opérations écologiquement viables :

A.F.T.E.R. a aussi modélisé l’effort nécessaire pour atteindre les objectifs fixés dans la loi Grenelle et que ne modifie pas le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (réduction de 40% de la consommation d’énergie), mais en retardant l’atteinte de ces objectifs en 2025 plutôt qu’en 2020. Avec les hypothèses de prix de l’énergie du scénario de référence, et sachant qu’on n’a pas donné de prix au CO2 évité (une taxe carbone peut être un signal pour les collectivités locales, mais est neutre globalement pour la puissance publique), il faut :

  • fixer le TRI cible minimum à -3% ;
  • rénover 235 Mm2 en bouquet 2 et 31 Mm2 en bouquet 3 ;
  • ce qui correspond à des investissements annuels de 7 Mds €/an pendant 10 ans.

 

N.B. Une autre possibilité serait de ne réaliser que des rénovations bouquet 3 (très ambitieuses à -70% d’efficacité) avec un TRI minimum de -0,5%, la rénovation de 155 Mm2, et 7,5 Mds € d’investissements par an.

 

N.B. le rapport d’Alain Quinet[12] sur la valeur tutélaire du carbone a recommandé que soit intégrée dans le calcul de rentabilité socio-économique des investissements publics une valeur du carbone croissante, fixée à 32 euros la tonne de CO2 pour 2010 et croissant à 100 euros la tonne de CO2 en 2030. Cette valeur permet d’intégrer dans le bilan coûts-avantages, vu de l’intérêt général qu’est supposé incarner l’Etat, les impacts négatifs des émissions de CO2. Certes cette valeur ne se traduit pas par un flux de trésorerie mais  l’usage de ce type de prix « fictifs » est courant dans le calcul économique public. C’est ainsi que sont valorisés les gains de temps dans le calcul du bénéfice socio-économique d’une infrastructure de transport. Dans notre cas, intégrer dans nos calculs la chronique de valeurs du carbone contenue dans le rapport d’Alain Quinet conduit à une augmentation du gisement financièrement viable de l’ordre de 5% en montants d’investissement et en surfaces. Notons cependant que ces valeurs restent faibles en raison du niveau peu incitatif de la valeur tutélaire actuelle et future  du carbone.

 

Pour réaliser l’objectif de la loi Grenelle, des investissements de l’ordre de 70 Mds € sont ainsi à envisager. Outre le fait que cet objectif a été fixé par la loi, plusieurs éléments peuvent justifier une mobilisation publique au-delà du gisement viable financièrement stricto sensu (30 Mds €) :

  • intégration de travaux d’efficacité énergétique dans certaines opérations non totalement viables financièrement (travaux « embarqués ») ;
  • compensation financière d’opérations non totalement rentables par les opérations largement rentables ;
  • autres bénéfices socio-économiques cités plus haut…

 


[1] Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP). Base des données comptables des collectivités et établissements publics locaux.

[2] ADEME. Enquête 2012. Energie et Patrimoine Communal. Juin 2014.

[3] Sources : (i) République Française. Document de Politique Transversale (DPT) – Projet de Loi de Finances pour 2014. Politique Immobilière de l’Etat. Dépenses exécutées déclarées par les responsables de programme. 2013. Le DPT précise : « Les résultats qui découlent de cette analyse doivent être interprétés avec prudence tant du fait du caractère déclaratif des données recueillies que de la méthodologie d’estimation retenue. » (ii) IFORE. Patrick Soler, Eric Dime, Christophe Huet. Journée d’échanges : L’efficacité énergétique des bâtiments de l’Etat. 6. libéralisation des marchés. 19 mars 2014.

[4] AIE. World Energy Outlook 2012. Novembre 2012.

[5] McKinsey. Resource revolution: Meeting the world’s energy, materials, food, and water needs. Novembre 2011.

[6] Commission européenne. Consultation – Financial Support for Energy Efficiency in Buildings. Février 2012.

[7] Fourchettes correspondant à des coûts différenciés selon le segment d’activité (écoles, santé, sport, bureaux…).

[8] Hausse possible de 50% du prix du gaz selon des prévisions de la Commission européenne entre 2010 et 2020, ce qui correspond à un taux de croissance annuel moyen supérieur à 4%. Commission européenne. Energy prices and costs report. 2014. Hausse de 5% par an du prix réel du pétrole prévue par l’OCDE en 2013. OCDE. The Price of Oil – Will it Start Rising Again? Mars 2013.

[9] Une durée d’amortissement plus élevée est probable en particulier pour les opérations visant des gains d’efficacité énergétique élevés dans la mesure où elles impliquent nécessairement des travaux sur le bâti.

[10] FFB. Analyse de l’évolution comparée des prix et des coûts dans le bâtiment – Préconisations en matière de simplifications règlementaires. Juillet 2013.

[11] Projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, adopté en 1ère lecture par l’Assemblée nationale le 14 octobre 2014 : « Un décret en Conseil d’État détermine : 1° Les caractéristiques énergétiques et environnementales et la performance énergétique et environnementale […] des bâtiments ou parties de bâtiment existants qui font l’objet de travaux de rénovation importants […]. »

[12] Centre d’analyse stratégique. La valeur tutélaire du carbone – Rapport de la commission présidée par Alain Quinet. Mars 2009.

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