Le traitement comptable adapté des projets d’efficacité énergétique
La contrainte inadaptée du cadre comptable des traités européens :
Etant donnés les montants globaux visés, un enjeu clef pour le projet SFTE est de faciliter le financement d’opérations sans pâtir d’un impact négatif sur la dette (critère de Maastricht), pour une partie substantielle des opérations. A l’instar d’éminents participants au débat européen, A.F.T.E.R. recommande à terme un traitement comptable spécifique de ces investissements publics. Il pourrait sembler trop ambitieux de faire accepter une dérogation directe au critère de déficit public pour les projets d’investissement dans l’efficacité énergétique. Pour autant, la comptabilité européenne devrait pouvoir reconnaître le caractère très spécifique de ces projets capables de « produire de l’énergie négative », donc des économies financières, ce qui est sans équivalent pour les autres projets d’infrastructure du secteur public, et de permettre l’ atteinte d’objectifs toujours réaffirmés par l’Union en matière d’énergie et de lutte contre le changement climatique. Tout en prenant en compte le caractère essentiel reconnu à l’énergie dans nos économies.
Certaines collectivités locales vont continuer d’emprunter directement pour réaliser des opérations de CPE. Dans ce cas la dette apparaît dans la dette publique française. Avec le plan de relance que propose A.F.T.E.R. dans la rénovation énergétique, tout ne sera pas financé en financement de projet CPPE, ni même avec CPE, mais il faudrait au moins promouvoir le CPPE pour le surplus d’opérations réalisé par rapport aux faibles volumes actuels de moins de 1 Md €/an.
Cette contrainte budgétaire des traités bride l’investissement de l’Etat depuis longtemps. La paralysie risque de s’étendre en 2015 aux collectivités locales, de plus en plus mises sous pression par l’Etat pour participer au respect des traités (voir II.E.).
A circonstances exceptionnelles, réponse exceptionnelle. Flécher les investissements de la transition énergétique et écologique comme des investissements de qualité méritant une dérogation comptable au traité ne sera peut-être pas accepté demain. Cela le sera après-demain, du fait de la pression internationale pour le financement d’infrastructures de qualité, et du consensus croissant sur le rôle majeur de l’efficacité énergétique.
Le mécanisme de garantie SFTE :
A défaut d’une révision prochaine des traités européens, le projet SFTE s’appuie sur :
- un traitement hors-bilan de la garantie publique mobilisée au bénéfice de la SFTE ;
- un traitement de la SFTE comme intermédiaire financier en dehors du champ des administrations publiques, car prenant des risques en propres ;
- des financements de projet avec CPE (CPPE) qui réalisent un transfert substantiel de risques vers des opérateurs de l’économie mixte ou du privé.
Le Système européen des comptes (SEC 2010) prévoit un traitement hors bilan des garanties ponctuelles telles que celle dont bénéficiera la SFTE, à moins que la garantie ne soit appelée ou qu’il soit connu qu’elle le sera.
- La structuration financière sera calibrée afin que la garantie publique ne soit en fait jamais appelée, le risque étant in fine très faible (voir la partie III.F.).
- Les fonds propres sont renforcés par une commission versée par les bénéficiaires de la garantie.
- L’Etat intervient en garantie ultime au-delà des fonds propres de la SFTE.
Le véhicule qui porte les projets :
Le véhicule des projets serait le CPPE (contrat de partenariat de performance énergétique) au sens du SEC 2010 et d’Eurostat, où la majeure partie des risques est effectivement transférée de la personne publique à une entreprise publique locale (EPL) marchande (issue par exemple de l’économie mixte) ou à un partenaire privé, conformément aux recommandations Eurostat.
N.B. La contrainte comptable de ne pas recourir au dispositif français de garanties Dailly rend alors nécessaire (pour le financeur, mais aussi pour les marchés si ce crédit devait être cédé) la garantie partielle du risque par l’Etat, via la SFTE. Dans la pratique des contrats de partenariat, les cessions de créances dites « cessions Dailly » sont acceptées par la personne publique : par un engagement spécial du débiteur (la personne publique), celui-ci s’engage à payer directement le cessionnaire (le prêteur) et, surtout, à ne pas lui opposer les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le cédant (le titulaire du contrat). Ce procédé a été mis en place à la demande des banques pour sécuriser les opérations de PPP.
Le recours à des SPV (Special Purpose Vehicles) de financement de projet à capitaux privés (y compris la CDC…) correspond aux standards internationaux actuels. Le recours à des sociétés d’économie mixte (SEM) semble cependant mieux correspondre aux préférences de certaines parties prenantes. Elle représente un outil possible et intéressant de mutualisation et de partage d’expertise[1]. On dispose avec les CPPE – sauf à inventer d’autres solutions – d’un outil très efficace devant permettre la prise en compte des spécificités des projets de rénovation énergétique.
Le risque étant très faible, le niveau des fonds propres du véhicule pourrait être de l’ordre de 5% du montant du projet, comme dans certains CPPE déjà réalisés.
Propositions :
Comme d’autres institutions en Europe qu’elle a contactées, A.F.T.E.R. appelle à une évolution techniquement limitée du cadre comptable européen prenant en compte l’existence des projets d’efficacité énergétique[2] : les traiter hors dette publique est essentiel pour déclencher un changement d’échelle.
Nous n’ignorons pas la mauvaise image qui a entaché les marchés publics à financement privé, utilisés parfois abusivement pour déconsolider comptablement certains projets d’infrastructure, dans des conditions de transfert des risques et de coûts globaux critiquées par la Cour des Comptes. Les CPPE visés ici permettront des financements de projet équilibrés qui éviteront ces écueils. Historiquement pratiqués depuis longtemps, les marchés publics à financements privés (PPP selon la terminologie actuelle) ne sont pas intrinsèquement inefficaces mais ils peuvent au contraire s’avérer indispensables pour répondre aux besoins d’infrastructure. Comme l’indique la Commission européenne, la baisse des volumes de PPP fait partie des raisons qui se traduisent aujourd’hui « par un niveau insatisfaisant de l’investissement et du financement à long terme »[3]. Nous appelons par ailleurs à un changement d’échelle des volumes d’opérations CPPE pour une plus grande efficacité, qui impose des adaptations radicales du CPPE (voir plus loin).
A.F.T.E.R. conclut à la nécessité d’échanges plus constructifs avec l’INSEE et les parties prenantes européennes, notamment du fait des interprétations d’Eurostat sur les financements de projet n’impactant pas à juste titre la dette publique. Aujourd’hui, une rénovation doit ainsi représenter plus de 50% de la valeur du bien après l’opération pour pouvoir être considérée comme un PPP au sens d’Eurostat. Nous n’avons pas pu reconstituer la logique fondamentale ni la finalité de cette disposition. Un grand nombre de nos interlocuteurs européens semblent cependant sensibles à ce sujet[4]. Plusieurs Etats-membres semblent par ailleurs favorables à une adaptation du cadre comptable européen pour favoriser les CPE (Irlande, Slovaquie, République tchèque, Pologne, éventuellement l’Espagne…). Cette évolution pourrait donc faire l’objet d’une action collective concertée.
[1] En outre, A.F.T.E.R. suggère que les SPL centrées sur l’efficacité énergétique des bâtiments publics bénéficient d’un traitement comparable à celui des SEM en comptabilité européenne, y compris lorsqu’elles ne sont pas mises en concurrence (« in-house ») mais quand elles mettent elles-mêmes en concurrence leurs fournisseurs dans des cas où ces derniers représentent la plus grande partie des travaux de rénovations.
[2] Voir aussi la proposition d’EEFIG sur la base d’une contribution d’A.F.T.E.R. : « The European System of Account (ESA) and Eurostat’s methodology should support energy efficiency renovations in public buildings (Energy Performance Contracts) ». Source : Energy Efficiency Financial Institutions Group (EEFIG). Energy Efficiency – the first fuel for the EU Economy. Part 1: Buildings (Interim Report). Avril 2014.
[3] Commission européenne. Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le financement à long terme de l’économie européenne. Mars 2014.
[4] C’est notamment le cas de la BEI (« EPC Campaign »), l’institut BPIE, la Commission européenne… Nous savons que la DG Energie a identifié cet obstacle et un rapport du JRC (« The European ESCO Market Report 2013 ») cite la comptabilisation des CPE (contrats de performance énergétique) dans la dette publique comme la principale barrière financière au développement des CPE.